Prise de vue analogique; épreuve à jet d'encre pigmentaire
Le mercredi 1er avril 2015, il est quinze heures, je m’extirpe de mon labo après des semaines intensives et solitaires de tirage ; je dois prendre l’air. Je vais aller au Jeu de Paume, où l’on expose Florence Henri et Taryn Simon.
Au pied de mon atelier je tombe sur des boîtes métallisées, abandonnées dans la rue, tiroirs ouverts, débordants de diapositives. Une boîte a été cassée, des tiroirs renversés, des dizaines de diapos éparpillées au sol : sans doute un fouineur, qui finalement déçu, aura passé son chemin.
Il y en a des centaines. Quatre mille pour être exact. Des bâtiments anciens, contemporains, immeubles, monuments, tours, ponts, théâtres, plans d’urbanisme, chapelles : uniquement des clichés d’architecture. Tous en couleur. Minutieusement archivés : site, nom de l’architecte, année de construction, jour de la prise de vue – tous pris en Europe, tous développés à Paris. Une vie de voyages à vocation unique.
Pas le genre de collection dont on se débarrasse de son vivant. Plutôt un legs encombrant, dont les héritiers n’ont su que faire. Les souvenirs d’une passion, qu’on n’a pas eu le courage de jeter, qu’on a alors déposés le long d’un mur, en évidence, au cas où cela intéresserait quelqu’un. En l’espérant, peut-être.
Un vrai trésor. Je cours chercher un grand sac dans lequel je réunis l’ensemble. Je remonte le tout chez moi. Je range avec les autres, au hasard, les diapositives dispersées. Ignorant encore ce que j’allais faire de ces reliques.
Vendredi 3 avril, onze heures, au même endroit - à peine remis de mon émotion - je découvre de nouvelles boîtes. Un résidu. Cette fois il y a quatre cent quatre-vingts diapositives. Toujours en couleur, toujours classées, toujours l’architecture. Elles rejoignent les autres dans mon bureau.
J’ai scruté les clichés un par un sur ma table lumineuse, longuement. Pour chaque photo, l’inconnu a pensé son cadre, prenant le recul suffisant quand il voulait le bâtiment en entier, ou, le cas échéant, pointant habilement le détail qui l’intéressait ; il a systématiquement attendu la bonne lumière, et fait attention que personne ne passe dans le champ – ou alors, si figurant il y a, il est bien placé, de manière à équilibrer l’image sans masquer le décor. Du travail propre. Pas dans un but artistique, non : de ce que je perçois, c’est la lisibilité de l’édifice qui prime, toujours.
Une personnalité se dessine, ou plutôt, une carrière. Un professeur d’architecture, certainement, qui n’aura eu de cesse de sillonner l’Europe afin d’admirer in situ ruines antiques et édifices modernes, et de les fixer pour pouvoir les partager plus tard avec ses élèves.
Du moins est-ce l’histoire que je me suis racontée.
La mise en scène de la collection de mon anonyme dans son intégralité s’impose à moi. J’aligne les quatre mille quatre cent quatre-vingts photos dans l’ordre où elles me viennent, séparant juste, par souci d’agencement, les verticales des horizontales. Sans ôter les poussières, les traces, les rayures. Pour restituer au plus proche mon heureuse trouvaille…
Analogical Photography; inkjet print on Baryta paper
Analogfotographie; Tintenstrahldruck auf Barytpapier